Quelle est la place de l’aîné dans la famille ?

Le Télégramme - 13 mars 2021

Par Christine Baudry

Privilège ou corvée ? Être l’aîné, c’est occuper une place à part dans l’imaginaire des parents, mais ce n’est pas toujours une chance.

« J’ai détesté être l’aînée », raconte Catherine, 55 ans, « je devais toujours montrer l’exemple, être responsable ». Laurence, sa sœur cadette de trois ans, ne voit pas leur enfance sous le même angle : « Moi j’enviais sa place ! », raconte-t-elle. « Ma sœur était davantage prise au sérieux que moi. Tout ce qu’elle faisait était un événement : entrer en 6e, passer le Bac, le permis. Quand venait mon tour, c’était une banalité, comme si ma vie était une banalité. »

« J’ai surtout défoncé les portes pour toi », rétorque l’aînée. « Par exemple, qu’est-ce que j’ai dû supplier pour avoir le droit d‘aller à ma première boum à 16 ans. À peine un an plus tard, tu as eu l’autorisation directe. »

Des expériences marquantes

Le débat est éternel. Même si le droit d'aînesse a disparu à la Révolution, le débat sur la « meilleure » place dans la fratrie ne s'est jamais éteint. Et sans doute ne le sera-t-il jamais puisqu’il s’inscrit dans le cadre plus large de la rivalité fraternelle (lire ci-dessous). Mais la question reste posée. À défaut d’être la « meilleure », est-ce que la place d'aîné influence la personnalité, voire même le destin de l'enfant ? Après tout, 30 des 47 premiers présidents des États-Unis, y compris Joe Biden (mais pas Donald Trump) étaient, ou des aînés, ou le premier garçon de la famille.
Plus responsables, plus sérieux, plus sûrs d’eux ? Ou à rebours moins créatifs, plus conformistes ? Est-il plus facile d’être l'aîné ? Le pédopsychiatre Marcel Rufo répond en préambule dans « Frères et soeurs, une maladie d’amour » (Livre de Poche) qu'il ne faut pas exagérer le rôle du rang de naissance et « qu’il n’est pas plus difficile d’arriver en premier, second ou autre (...). Ce n’est pas le rang occupé dans la fratrie qui importe, mais l’enfant lui-même, sa personnalité, son développement, sa capacité d'adaptation ». Mais il constate ensuite que le premier-né passe par des expériences spécifiques qui peuvent le marquer.
Avant tout, sa naissance a créé une famille. De ce couple qui a « fait » un bébé, l'aîné a « fait » des parents. Il est ainsi à l'origine d’un choc psychique dont tous les parents se souviennent. Puis il est leur centre d’intérêt pendant plusieurs mois, plusieurs années même, et leur apprend leur « métier» de parent : s’occuper de lui, comprendre ses besoins, ses pleurs et ce qui le fait rire. Cela ne fera pas forcément de lui un préféré, mais un cas à part sans conteste oui.

Réaliser le désir d’enfant parfait

Première merveille de la famille et septième merveille du monde, l’aîné est photographié sous toutes les coutures : premiers sourires, premiers pas... bien plus que lecadetqui partagera plus tard le cadre avec lui et se trouve, d'après différentes études, rarement photographié seul aux mêmes âges. Cette attention exclusive des parents pendant les premières années est d'ailleurs une des raisons invoquées pour expliquer les meilleures performances scolaires des aînés. Les statistiques montrent, en effet, qu'ils sont globalement plus diplômés que leurs jeunes frères et soeurs, et c’est encore plus marqué pourles filles.
Certes, ils ont tous dû vivre le désagrément de voir un rival vagissant venir monopoliser letemps et les bras des parents. Cela peut développer chez eux une tendance à l'anxiété. Mais selon le sociobiologiste américain, Frank J. Sulloway (département des sciences cognitives du Massachusetts Institute of Technology), la peur d’être détrônés devient aussi un atout qui les conduit à développer des aptitudes utiles. Obligés de lutter pour conserver leur place, les aînés deviennent plus spontanément, selon le spécialiste américain, des défenseurs de l'ordre établi et s’intégrent mieux dans la société. À rebours, le cadet, qui s’impose en bousculant l’ordre familial à sa naissance, aurait naturellement tendance à se montrer rebelle.
Reste que l’attention parentale est sous tendue par des attentes fortes. Plus que tout autre, l’aîné doit réaliser le désir d'enfant parfait, un enfant fantasmé, imaginaire et d’emblée c’est une mission impossible... Les parents peuvent cherchera se réparer à travers lui, ce qu'ils auraient voulu être, ce qu’ils n’auraient pas voulu vivre. De façon inconsciente, ils font ainsi peser des enjeux bien lourds sur ses épaules. Plus que d'autres, il sera susceptible de les décevoir, et l'enfant le sent parfaitement. Adultes, ils continueront pourtant d’essayer. Les thérapeutes rencontrent ainsi dans leurs cabinets de nombreux aînés qui ont du mal à faire leurs choix librement et qui traversent la vie en cherchant l’approbation ou la reconnaissance de ceux qui les entourent.


à lire

« L'Héritage invisible. Secrets de famille, deuils inachevés, loyautés... Se libérer des maux de nos ancêtres avec la psychogénéalogie », d’Evelyne Bissone Jeufroy. Larousse. 192 p. 16,95 €

Se libérer des maux de nos ancêtres avec la psychogénéalogie

Nous héritons sans le savoir des traumatismes non résolus de nos ancêtres et la loi du silence qui les entoure crée des cicatrices qui s’impriment dans nos corps, nos âmes et nos vies. Pour arrêter ces transmissions invisibles, la psychogénéalogie est un puissant outil qui permet d’éclairer la vie de nos aïeux d’un jour nouveau. En leur rendant ce qui leur appartient, nous pourrons enfin vivre sans être l’otage d’un destin qui n’est pas le nôtre. À travers de nombreux exemples, la psychologue Evelyne Bissone Jeufroy guide le lecteur vers le chemin de la vérité et de la liberté et lui permet ainsi de découvrir les clés de sa véritable identité.

« Les autistes ont la parole : écoutons-les »en format poche

En considérant l’autisme comme une différence de fonctionnement, sans pathos ni sensationnalisme, l’auteure (docteure en psychologie sociale et autiste Asperger) cherche à faire entendre une voix qui reste minoritaire actuellement.
« Dans ta bulle ! », de Julie Dachez. Poche Marabout. 256 p. 6,90 €.


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