Quand les tests ADN
récréatifs font exploser les secrets de famille

Marie Claire - 29 janvier 2021

Par Emmanuelle Ringot

Bien qu'interdits en France, les tests ADN pour connaître ses origines ethniques ont le vent en poupe. Commercialisés à l'étranger et envoyés à travers le monde, ces tests récréatifs promettent de nous dévoiler nos racines. Mais aussi d'entrer en contact avec les membres de sa famille biologique élargie. Jusqu'à parfois dévoiler des secrets bien gardés.

Lorsqu’il reçoit les résultats de son test ADN, Jeff, un Américain d’une trentaine d'années, marque un temps de pause : le laboratoire qui a analysé sa salive, établit un "match" ADN important avec une avec un homme qui lui est inconnu. En y regardant de plus près, il s'aperçoit que ce "match", étant donné le pourcentage élevé de partage d'ADN, correspond à une filiation, celle d'un père et de son fils. Jeff comprend alors que son père biologique n'est pas l'homme qui l'a élevé.

Ce dernier, prénommé Gerry, tombe lui aussi de haut : il reconnaît l'identité de celui qui serait en réalité, d'après ce test ADN, le géniteur de son fils... et qui n’est autre que l'ancien patron de sa femme, lui-même inscrit dans la base de données de l'entreprise commercialisant le test pratiqué par Jeff. “Mon père m’a appelé un soir, affolé et en larmes”, raconte alors Ryan, le second fils de Gerry, interviewé par la chaîne NBC Philadelphia. “Il me dit alors qu’il n’est pas le père biologique de mon frère, et probablement pas le mien non plus”, continue-t-il. Le choc est total pour les trois hommes.

Il me dit alors qu’il n’est pas le père biologique de mon frère, et probablement pas le mien non plus.

Comme pour cette famille américaine, la multiplication des tests ADN grand public a contribué, ces dernières années, à l’exhumation de secrets de famille parfois profondément enfouis, et ce même en France alors que la commercialisation et l'usage de ces tests sont officiellement interdits.

Il est en effet facile de se procurer un kit de ce type en quelques clics. L'enveloppe arrive quelques semaines plus tard par la voie la plus classique : La Poste. Il n'y plus qu'à racler l'intérieur de ses joues avec un gros coton-tige prévu à cet effet et renvoyer son tube, estampillé d'un code-barre à usage unique, vers de lointaines contrées. Patienter, puis, enfin, par mail, découvrir ses origines ethniques. Et, parfois, beaucoup plus.

Un coton-tige, de la salive et cartographie de ses origines

C’est ce qu’il s’est passé pour Anne*. Cette Parisienne trentenaire, originaire du Sud-Ouest, a appris à l'âge de 11 ans un secret : son grand-père n’est pas le père biologique de son père. “C’est ma mère qui me l’a dit. J'entrais au collège, nous vivions dans un petit village. Elle ne voulait pas qu'un jour, éventuellement, je l'apprenne par quelqu'un d'autre. Elle ne m'en a pas dit plus. J’ai tout de suite compris que c’était un sujet tabou, notamment pour mon père, avec qui je n'en n'ai d'ailleurs jamais parlé jusqu'à récemment. A partir de ce moment, j’ai pris conscience du mensonge dans lequel j'avais été élevée, mais aussi de cet énorme flou dans mon arbre généalogique. Si cela n'a rien changé à mes relations avec mon père et mon grand-père, j'y pensais de temps en temps. A l'âge adulte le besoin de "savoir s'est fait plus pressant, sauf que je n'avais pas l'once d'une information pour débuter des recherches”, confie-t-elle.
Jusqu’au jour où elle découvre l’existence des tests ADN “récréatifs” et la possibilité par un simple prélèvement de salive d’en savoir plus sur ses origines.

A partir de ce moment, j’ai pris conscience du mensonge dans lequel j'avais été élevée, mais aussi de cet énorme flou dans mon arbre généalogique.

La question des origines, via une analyse génétique, semble intéresser de plus en plus de personnes à travers le monde, en témoigne le nombre d'inscrits sur les sites des sociétés qui commercialisent ces tests. Pour Evelyne Bissone Jeufroy, psychologue et autrice de L’héritage Invisible** (Ed. Larousse), “connaître ses origines est avant tout un droit, et tout le monde devrait pouvoir le faire”. L’experte en psychogénéalogie explique, à coup de métaphores, que la construction d’une identité et d’un psychisme peut s'avérer incomplète s’il subsiste des doutes ou des zones grises dans son histoire. “Prenez un arbre. Planté dans le sol, s’il y a une tempête, il ne bouge pas grâce à ses racines. Mais si on lui retire une part de ce socle, en le plantant par exemple dans un pot, il va vaciller et tomber, au moindre coup de vent. C’est pareil pour les êtres humains”, illustre-t-elle, assez catégoriquement.

C’est ainsi que le chroniqueur canadien Pierre-Luc Racine, adopté quand il était très jeune, s’est laissé tenter par l’expérience du test ADN. “Lorsque j’ai appris l’existence des sites web qui analysent de l’ADN pour donner une approximation d’origines, j’étais curieux. Bien que mon lieu de naissance soit Bogota, la capitale de la Colombie, j’ai toujours trouvé que mes traits latinos n’étaient pas si définis”, explique-t-il sur le site Urbania.

Des résultats souvent grossiers à affiner soi-même

Pour lui, comme pour Anne, les résultats de leur test n’ont pas permis de répondre précisément à leurs questionnements intimes. “Trois semaines après avoir envoyé mon test salivaire, j’ai reçu mes résultats et, en toute honnêteté, je suis restée sur ma faim. Les zones géographiques correspondants à mes origines ethniques étaient délimitées de façon très large, voire grossière, et mélangeaient plusieurs pays. J'ai ainsi découvert que j'étais à 49% "Ibère", une zone qui englobe par exemple le sud-ouest de la France. Rien de choquant, puisque ma famille et moi-même sommes originaires du coin”, confie-t-elle. Et d'ajouter "Je n'ai repéré aucun "match" saisissant dans la base de données du site qui ne possède que l'ADN des personnes ayant effectué le même test. Beaucoup d'arrière-arrière cousins et cousines avec lesquel.les je partage moins de 1% d'ADN."

Et là, une piste est apparue : j’avais un pourcentage assez élevé d'origine italienne, qui correspondait vraisembla-
blement, vu le taux, à un grand-parent.

Elle décide alors de se servir de ces résultats comme point de départ à son enquête, qui prend un tournant généalogique. “J’ai d’abord essayé de décrypter les données plus précisément, grâce à un autre site, tenu par des chercheurs en généalogie et géographie, beaucoup plus fin en ce qui concerne le découpage des zones géographiques et les ethnies définies. Et là, une piste est apparue : j’avais un pourcentage assez élevé d'origine italienne, qui correspondait vraisemblablement, vu le taux, à un grand-parent.”

Forte de cette découverte, elle décide d’en parler au principal concerné, son père. “Nous avions rarement échangé sur ce sujet. Je ne savais pas trop comment l'amener à lui jusque là, le test a donc été un parfait prétexte. Au départ, l’information n'a pas semblé l’intéresser plus que ça. Mais quelques mois plus tard, il a fini par m'en reparler de lui-même, m'avouant qu'il avait récemment renoué avec une tante capable de l'éclairer sur cette zone d'ombre de son histoire. Elle lui a notamment confirmé que son père biologique est Italien”, poursuit la trentenaire.

Se réapproprier son histoire, même lointaine, c’est la raison numéro 1 qui pousse de nombreuses personnes à partir sur les traces de leur filiation, via des recherches généalogiques ou des tests ADN. Rien d'étonnant pour Evelyne Bissone Jeufroy qui insiste sur le fait que les secrets de famille, qu’ils soient plus ou moins su ou totalement dissimulés par des ancêtres, sont un poids pour la psyché d’un individu. “Beaucoup d’enfants nés grâce à des dons de gamètes veulent connaître leurs géniteurs biologiques par exemple. Ce n’est en aucun cas pour remplacer le lien affectif créé avec les parents, mais bien pour savoir d’où ils viennent”, explique-t-elle.

Savoir pour déboulonner les fantasmes et apaiser l'esprit

Contrairement à la recherche généalogique, qui demande du temps et de la minutie, le test ADN récréatif a l'avantage d'offrir une cartographie de ses origines en quelques semaines seulement, sans effort. Pour une majorité de personnes, qui en usent sans savoir pour autant ce qu'ils recherchent, il est cependant bien moins précis que la première méthode. C'est d'ailleurs ce qu'a constaté Anne : ses résultats ADN ont été le point de départ d’une recherche généalogique finalement plus classique mais surtout l’amorce de discussions intimes avec son père.
Pour Pierre-Luc Racine, l’imprécision a été une source d’amusement. “Le site m’indique que j’ai 20 % d’Amérique du Nord, Amérique Centrale et d’Amérique du Sud, ce qui est la description d’un lieu la plus large que j’ai vue de toute ma vie”, commente-t-il. Dans les deux cas, le test a partiellement répondu à une question de fond.

Quant au secret qui pourrait être dévoilé par ce biais, passé la stupeur, il aurait la vertu d'apaiser l'esprit et ses tourments dont on ne sait parfois pas bien d'où ils viennent, souligne l’experte en psychogénéalogie. “On cherche une réponse, une fois qu’on la trouve, la blessure intime se referme”, analyse-t-elle.

Le test ADN et les recherches que j’ai pu faire ensuite n’ont évidemment pas répondu à tout (...) mais je ne me pose plus mille questions, je ne me fais plus de films.

Un processus qu'Anne connaît bien, puisqu’une fois l'identité de son grand-père biologique débusquée, les interrogations, les fantasmes aussi qui la suivaient depuis l’enfance se sont dissipés. “Le test ADN et les recherches que j’ai pu faire ensuite n’ont évidemment pas répondu à tout, il reste encore une part de secret dans ce secret de famille. Mais cela a tout de même mis de la lumière où il n'y en avait pas. Je suis désormais en paix avec le sujet. Surtout, je ne me pose plus mille questions, je ne me fais plus de films. Pour l'instant, je ne veux pas aller plus loin. Ce savoir me suffit. Je ne m'imagine pas du tout entrer en contact avec les membres de cette famille biologique jusque-là inconnue. C'est d'ailleurs un choix qui appartient d'abord à mon père, que j'ai tenu au courant, avec son accord, de l'avancée de mes recherches”, explique-t-elle.

Des tests ADN récréatifs qui n'ont rien de légers

La jeune femme soulève là un point essentiel dans la quête de filiation dans le cadre d'un secret de famille : “Il faut absolument respecter l’individu qui est directement concerné par le secret en question. Certaines personnes ont besoin de savoir, d’autres ne sont pas prêtes et ne le seront peut-être jamais”, ajoute la psychologue. C’est d’ailleurs l’une des failles principales de ces tests ADN, dits “récréatifs” qui peuvent mettre à jour, finalement, le secret d'un tiers dans sa lignée. Un terme qui dérange Evelyne Bissone Jeufroy : “Il n’y a rien de récréatif dans la quête de ses origines, assène-t-elle. C’est un travail intime et profond”.

“Beaucoup voient [ces tests] comme quelque chose de fun, un peu comme une pochette-surprise, décrypte la sociologue Sarah Abel, interrogée par le journal suisse Le Temps. “S’ils tombent sur des origines improbables, ils se disent que le test n’était pas vraiment scientifique et ne vont pas plus loin”. Pour notre experte en psychogénéalogie, cette question de la surprise n’est pas tout à fait innocente. “L’inconscient sait toujours ! Selon moi, on ne fait pas de test ADN, même grand public, si on a aucun doute sur sa famille ou sur son histoire”, explique-t-elle.

Il n’y a rien de récréatif dans la quête de ses origines. C’est un travail intime et profond.

Ainsi, quand Julia - une Américaine interrogée sur le plateau de l’émission Doctor & The Diva en octobre 2019 - se lance dans l’aventure du test ADN, “pour le fun”, certainement a-t-elle déjà inconsciemment des doutes sur son histoire. Elle ne s’attendait pas pour autant à découvrir plus de 30 frères et sœurs aux États-Unis. Même chose pour Jeff et Gerry, dont l’histoire est relatée en début d’article, et qui ont été choqués l’un et l’autre par cette annonce.

Et c’est là que se pose la question du consentement évoquée plus haut : bien qu’ils et elles fassent la démarche pour en savoir plus sur leurs origines, ces personnes sont-elles prêtes émotionnellement à connaître leurs secrets de famille ? Surtout, ont-elles conscience de ce que cela peut finalement toucher directement une ou plusieurs autres personnes ? Vouloir connaître ses origines ethniques est une chose, se découvrir un jumeau séparé à la naissance à l'autre bout du globe, l'en avertir et potentiellement bouleverser tout son monde en est une autre.

Quid du stockage de ces données intimes ?

Au-delà des questions éthiques et morales que laissent supposer l'utilisation de ces tests par le grand public, la collecte de ces données -stockées par les entreprises qui commercialisent ces tests-, et leur utilisation à d'autres fins que celles indiquées actuellement, est l'une des dérives qui inquiète le plus. On recense déjà des histoires extraordinaires de personnes arrêtées par la police, parce qu’une cousine lointaine avait procédé à l’étude de ses origines et que les résultats avaient été partagés par le laboratoire aux autorités.

Dès le départ, ça a été une interrogation pour moi. J’allais livrer mon ADN, l’une des choses les plus personnelles que j’ai, à une entreprise, étrangère qui plus est.

Anne s’est d'ailleurs longuement posée la question avant de se lancer. “Dès le départ, ça a été une interrogation pour moi. J’allais livrer mon ADN, l’une des choses les plus personnelles que j’ai, à une entreprise, étrangère qui plus est. J'ai tergiversé plusieurs semaines avant que la curiosité qui me taraudait depuis des années l'emporte. Aujourd'hui, je songe à demander la destruction de mon échantillon et de mon dossier, sans savoir véritablement si ma consigne sera honorée”, indique-t-elle.

En France, l’achat d’un test génétique dans un laboratoire en ligne comme 23andMe ou MyHeritage est passible de 15 000 euros d’amende et d’un an de prison. Seuls les médecins, les juges ou la police peuvent demander des analyses de ce type.

*Le prénom a été modifié
**L’héritage Invisible, d'Evelyne Bissone Jeufroy (Ed. Larousse)


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